EST-CE AU JUGE ADMINISTRATIF DE CONNAITRE DES LITIGE NES DE LA RUPTURE BRUTALE D'UN CONTRAT ADMINISTRATIF ?
Tribunal des Conflits, , 05/07/2021, C4213
Tribunal des Conflits, , 08/02/2021, C4201
QUELS SONT LES FAITS DES AFFAIRES EN QUESTION ?
La première affaire :
Dans cette affaire, une société a passé un marché de prestations intellectuelles avec un établissement public, la SNCF Réseau. Cependant, la SNCF décide de rompre ce contrat. Alors, la société de conseil va saisir le Tribunal de commerce d'une action en réparation de son préjudice né d'une telle rupture des relations commerciales.
Le Tribunal de première instance et la Cour d'appel considèrent que le litige relève de la compétence des tribunaux de l'ordre judicaire et que le juge administratif n'a pas à en connaitre. Néanmoins, la SNCF n'est pas convaincue de cette argumentation et se pourvoie en cassation contre ces décisions. C'est alors au tour de la Cour de Cassation qui va faire le choix de la raison en demandant au Tribunal des conflits, organe juridictionnel prévu à cet effet, de départager cette question de compétence entre le juge administratif et le juge judicaire.
Remarque : Le Tribunal des conflits est la juridiction exceptionnelle réunissant des conseillers d'Etat et des conseillers à la Cour de Cassation afin de trancher sur les questions de répartition des compétences entre les deux ordres juridictionnels.
La seconde affaire :
Pour cette affaire, il est question d'un contrat entre une société d'évènementiel et un Etablissement Public Industriel et commercial (EPIC) chargé par sa communauté de communes de rattachement de gérer l'exploitation et l'animation d'un espace culturel de la fôret domaniale de Fontainebleau. Alors que cette société y organisait un concours hippique et des animations chaque été, l'EPIC décide de ne pas renouveler le contrat qui le liait avec cette société.
Celle-ci saisie alors le Tribunal administratif qui se déclare incompétent pour juger de l'affaire. La société saisie alors le Tribunal de commerce qui quant à lui se déclare compétent. L'EPIC a immédiatement interjeté appel de cette déclaration de compétence du tribunal. Il l'a fait à raison car la Cour d'appel a préféré saisir le Tribunal des conflits de cette question.
QUELLE EST LA NATURE JURIDIQUE DES CONTRATS EN CAUSE ?
Le contrat de prestations de conseil :
Le Tribunal des conflits va tenter d'identifier la nature du contrat qui lie la SNCF et la société de prestations de conseils afin d'en déduire la compétence juridictionnelle. Dans un premier temps, il rappelle que ce contrat est régit par un cahier des clauses et conditions générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles du groupe SNCF. Ces clauses particulières confèrent à la SNCF des pouvoirs exorbitants du droit commun, c'est à dire des prérogatives contractuelles qui ne pourraient être légalement conférées à une partie dans un contrat de droit commun, comme un contrat commercial par exemple.
Au titre de ces prérogatives, le Tribunal relève que la SNCF dispose de la capacité de résilier unilatéralement le contrat. En effet, c'est bien l'exercice de cette compétence particulière qui a fait naître le litige. Pour le tribunal des conflits, qui reprend une expression jurisprudentielle rénovée de la clause exorbitante du droit commun, de telles clauses, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, impliquent, dans l'intérêt général, que le contrat relève du régime exorbitant des contrats administratifs.
Dans un second temps, les juges rappellent que ce contrat a été passé par une personne publique. Or, un contrat passé par une personne publique qui comporte en son sein des clauses lui conférant des prérogatives exorbitantes est un contrat administratif. Ici, le Tribunal de conflits se contente d'appliquer la jurisprudence traditionnelle du Conseil d'Etat pour identifier les contrats administratifs.
Le contrat de mise à disposition d'une propriété publique :
Dans cette affaire, il est non pas question d'un marché de prestation mais d'une mise à disposition d'un site soumis au régime de la propriété publique. Pourtant, ici aussi le Tribunal des conflits va s'attacher à décortiquer ce contrat pour en identifier la nature.
En premier lieu, il s'agit de savoir si ce bien immeuble mis à disposition par l'EPIC au bénéfice de la société d'événementiel appartient au domaine public ou au domaine privé. En effet, si celui-ci appartient au domaine privé, le contrat a des chances, malgré le caractère public de la propriété, d'être un contrat soumis au droit commun. Néanmoins, le Tribunal des conflits va appliquer la jurisprudence traditionnelle du Conseil d'Etat, reprise dans le Code général de la propriété de personnes publiques à l'article L. 2111-1, sur les critères d'identification du domaine public.
Le stade équestre, dont l'EPIC a charge d'exploiter, est affecté au service public de l'animation culturelle et sportive du grand public, y compris les jeunes et les scolaires. Ce stade a bénéficié d'aménagements indispensables à son affectation au service public. Il doit donc être regardé comme une dépendance du domaine public. En effet, ce régime extrêmement protecteur de la domanialité publique vise à protéger les biens appartenant aux personnes publiques mais surtout à protéger les biens tant qu'ils sont le support indispensable d'un service public ou qu'ils sont dédiés à l'usage du plus grand nombre.
Dans un second temps, les juges rappellent que le contrat litigieux a pour vocation de mettre cette dépendance du domaine public à disposition du cocontractant afin qu'il exécute une mission d'animation participant au service public. Or, l'article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques dispose que les litiges nés dans le cadre de contrats conférant un droit d'occupation du domaine public relèvent du juge administratif. Ces contrat sont donc des contrats administratifs par détermination de la Loi.
QUE FAUT-IL EN CONCLURE CONCERNANT LA COMPETENCE RESPECTIVE DES JURIDICTIONS ?
Après avoir appliqué les jurisprudences et textes de loi classiques, le Tribunal des conflits doit maintenant, dans les deux affaires, répondre à la question de savoir si, nonobstant le fait que ces contrats soient des contrats de droit public, lorsque le requérant invoque des dispositions de droit privé la compétence juridictionnelle revient-elle toujours au juge administratif ?
En l'espèce, les requérants demandent réparation de leur préjudice en vertu des dispositions du Code de commerce qui prévoit le cas de la rupture brutale des relations commerciales. Néanmoins, le Tribunal des conflits va souverainement reformuler les termes du litige. Dans la première affaire, il considère que le litige porte sur la cessation de relations contractuelles de droit public. Dans la seconde affaire, c'est, selon lui, un litige né du refus de renouvellement d'une convention d'occupation temporaire du domaine public.
Pour ces deux litiges, le Tribunal des conflits considère qu'indifféremment du fait que les requérants invoquent des dispositions de droit privé, ces contrats sont des contrats de droit public liés au service public ou au domaine public qui relèvent de la compétence du juge administratif. En effet, ces contrats administratifs ont un objet particulier qui relève des missions d'intérêt général dont sont chargées les personnes publiques. Le droit public, contrairement au droit privé, organise une inégalité entre les parties au contrat afin de faire toujours prévaloir l'intérêt général sur l'intérêt privé. Si le juge peut s'inspirer de dispositions de droit privé pour trouver une solution aux litiges portés devant lui, il lui revient de ne pas appliquer des dispositions qui seraient incompatibles avec la nécessaire protection de l'intérêt général.
Ces affaires sont de bons exemples car, particulièrement dans le premier litige, la personne publique a usé d'une prérogative de puissance publique conféré par le régime exorbitant des contrats administratif. Cette prérogative lui permet de résilier unilatéralement le contrat, chose qui n'est que très rarement prévue par le droit privé, si elle justifie d'un motif d'intérêt général exigeant que ce contrat soit rompu. La rupture des relations commerciales est certes brutales au sens du code de commerce, mais elle ne constitue pas une faute de la personne publique qui n'a fait que poursuivre sa mission d'intérêt général conformément à ce que le droit public des contrats lui permet.
Remarque : Le cocontractant de l'administration n'est pas démuni face aux pouvoirs exorbitants des personnes publiques, il a le droit d'être indemniser du fait de la résiliation anticipée d'un contrat, particulièrement lorsque la résiliation unilatérale est irrégulière. A voir : Article sur les conditions d'indemnisation d'un cocontractant après une résiliation irrégulière de la part de l'administration.
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