L’IMPLANTATION LOCALE PEUT-ELLE PARTICIPER A L'APPRECIATION D'UN CRITERE DE CHOIX ?
QUELS ETAIENT LES FAITS DE L’ESPECE ?
L’office public de l’habitat de Calais a lancé une procédure de passation d’un marché de service de maintenance, par appel d’offres ouvert. Il a écarté la candidature de la société Hydra LS et l’en a informée par une lettre en date du 18 janvier 2016.
Le candidat évincé a alors saisi le tribunal administratif de Lille aux fins d’annulation du marché public de service conclu avec la société des Eaux de Calais ainsi que d’indemnisation de son préjudice subi en raison de l’illégalité de la procédure de passation dudit marché. Il s’agit donc d’un recours Tarn et Garonne, en contestation de la validité du contrat dans lequel le juge du contrat dispose de larges pouvoirs, assorti de conclusions indemnitaires.
Par une ordonnance du 5 décembre 2018, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif a rejeté ses demandes. La société évincée interjette donc appel de cette ordonnance. Par un arrêt du 26 novembre 2020, la Cour administrative d’appel de Douai annule l’ordonnance mais rejette les conclusions d’annulation du contrat ainsi que les conclusions indemnitaire de l’appelant (CAA Douai, 26 novembre 2020, req. n°19DA00239).
SUR QUELS MOYENS L’ORDONNANCE EST-ELLE ANNULEE ?
D’abord, l’article R.222-1 du code de justice administratif permet aux présidents de formation de jugement de rejeter par ordonnance les requêtes manifestement irrecevables. Cette hypothèse s’applique lorsque la requête présente une irrecevabilité non régularisable ou qu’elle n’a pas été régularisée dans les délais malgré une demande de régularisation (article R.612-1 du code de justice administrative).
A ce titre, le tribunal administratif a bien communiqué à la société Hydra LS une invitation à régulariser sa requête. Toutefois, cette demande n’indiquait pas les conséquences de l’absence de régularisation de la requête dans le délai imparti. Aussi, l’ordonnance de rejet se fonde sur un élément du mémoire en défense produit par la société des Eaux de Calais alors qu’il n’a pas été communiqué au requérant. Le juge d’appel conclut donc à l’irrégularité de l’ordonnance attaquée avant de se prononcer sur le fond de la requête du concurrent évincé.
La Cour administrative d’appel de Douai admet la recevabilité de la requête en appel au regard de l’intérêt à agir de l’appelant et de ses moyens en tant qu’il invoque des manquements aux règles applicables à la passation du contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.
Pour autant, il rejette le moyen fondé sur la modification de la méthode de notation du critère prix puisque sur ce critère, la société requérante est arrivée en première position. Il rejette également les moyens tenant à l'irrégularité de l'appréciation des critères de la valeur technique et des délais. Puisque la procédure de passation du marché litigieux n'est entachée d'aucune irrégularité, le juge d'appel conclut au rejet des conclusions à fin d'annulation et donc des conclusions indemnitaires.
COMMENT LE JUGE CONTOURNE-T-IL LE PRINCIPE D’INTERDICTION DE LA PREFERENCE LOCALE ?
Le principe et ses exceptions strictement appréciées
En principe et par application des dispositions textuelles et de la jurisprudence, la discrimination géographique à l’occasion d’une procédure de passation d’un marché public ou d’une concession est prohibée. A ce titre, l'article L.2152-7 du code de la commande publique impose d'attribuer le marché au candidat ayant présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution.
Par ailleurs, la jurisprudence européenne prohibe toute préférence locale (CJCE, 3 juin 1992, Commission contre République italienne, aff. C-360/89). Le juge administratif, selon une jurisprudence constante, a adopté la même position (CE, 29 juillet 1994, Commune de Ventenac-en-Minervois, req. n°131562).
Les exceptions à ce principe restent très encadrées. Le juge admet notamment l'exigence d'implantation géographique seulement si elle apparaît comme une condition à la bonne exécution du marché (CE, 14 janvier 1998, Société Martin-Fourquin, req. n°168688).
Une appréciation surprenante de l'exigence d'implantation locale
Mais en l’espèce, la Cour administrative d’appel refuse d’identifier une discrimination géographique. En effet, la circonstance selon laquelle la société qui a remporté le marché est basée à Calais lui permet d’offrir un personnel aisément mobilisable en cas d’urgence. Cette qualité de l’entreprise attributaire lui vaut, en toute régularité, une meilleure note au regard du critère de la valeur technique de son offre.
Une telle appréciation de l’offre par le pouvoir adjudicateur n’est pas constitutive d’une discrimination géographique prohibée. Ainsi, la prise en compte de l’implantation géographique des candidats à un marché dans le cadre de la méthode de notation de leurs offres serait autorisée. Il faut encore que les pouvoirs adjudicateurs justifient d’un lien entre cette exigence et l’objet du marché.
Ce qui pose des difficultés est que les candidats n’en étaient pas vraiment informés puisque l’implantation géographique n’était pas un critère d’appréciation des offres et que le pouvoir adjudicateur n’a pas à communiquer sa méthode de notation, laquelle prend en compte l’implantation géographique.
Il en résulte qu’une telle méthode a pour effet de favoriser les candidats dont l’implantation locale à proximité du lieu d’exécution du marché est antérieure au lancement de la procédure de passation de marché. Il serait pourtant plausible que les autres candidats envisagent de se rapprocher de ce lieu d’exécution en cas d’attribution du marché.
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